Il y a trente-trois ans, le chef de la révolution burkinabé, Thomas Sankara, a été abattu sous une pluie de balles. Une fin sanglante pour celui qui a eu une vie mouvementée mais charismatique et qui, aujourd’hui, a acquis le statut de culte dans toute l’Afrique.
Thomas Sankara, jeune capitaine de l’armée, a pris le pouvoir de son pays profondément pauvre en 1983.


Né le 21 décembre 1949 à Yako dans le nord poussiéreux de ce qui était alors la Haute-Volta, le futur officier avait 12 ans lorsque sa patrie accéda à l’indépendance de la France.
Une fois au pouvoir après un coup d’État d’août 1983, Thomas Sankara rebaptisera le pays « Burkina Faso » ou « pays des hommes intègres ». Il introduira des politiques progressistes qui éloignent son régime des autres anciennes colonies dans ce que la France considérait comme son arrière-cour en Afrique.
Son premier aperçu de l’action militaire a eu lieu lors d’un conflit avec le Mali voisin en 1974-75. Mais il nourrissait déjà des idées qui, avec la popularité, apportèrent un côté sombre à son règne.
Après un coup d’État réussi en novembre 1980, le nouveau chef de l’Etat, le colonel Saye Zerbo, nomma Thomas Sankara sous-ministre de l’Information. Mais sa vision radicale l’amena à quitter le gouvernement un an et demi plus tard.
Lors du coup d’État suivant en janvier 1983, Thomas Sankara était de retour en faveur et est devenu Premier ministre, mais une lutte pour le pouvoir éclata alors dans les rangs militaires.
Initialement arrêté en mai 1983, Sankara fit son retour en Août, à la suite d’un coup d’État mené par son ami proche, le capitaine Blaise Compaoré et des associés qui l’ont mis à la tête du pays.
À peine âgé de 33 ans, il s’est présenté comme le symbole d’une Afrique jeune et vaillante.
Son image était une rupture radicale de celle des dirigeants corrompus bedonnants qui ont émergé de la fin de la domination coloniale.
Le nouveau chef de l’État était mince et beau avec un visage toujours souriant, un amour du football et d’autres sports. C’était aussi un guitariste de jazz accompli qui n’aimait rien de plus que de jouer avec d’autres musiciens.
Mais il était aussi un travailleur exigeant qui dormait peu et portait toujours une tenue de combat, un pistolet en nacre rangé dans sa ceinture – un cadeau du leader nord-coréen Kim Il Sung.


Il vivait avec sa femme et ses deux fils dans un palais présidentiel délabré et ses principaux biens matériels étaient une guitare et une Renault 5 d’occasion.
Il a ordonné aux ministres du gouvernement d’utiliser des voitures similaires et d’abandonner leurs limousines. Une demande qui a cimenté son énorme popularité parmi les pauvres, en particulier dans les campagnes.
Et qui lui créa des ennemis dans ses propres rangs.
Les politiques prioritaires de Sankara étaient d’assainir les finances publiques et de réduire une fonction publique gonflée, d’apporter des améliorations en matière de santé, d’améliorer l’accès à l’éducation et de prendre des mesures rurales pour répondre aux aspirations des paysans. À ce propos, il a déclaré :
Des comités de défense de la révolution (CDR) ont été formés pour surveiller le peuple, tandis que les tribunaux populaires de la révolution (TPR) rendaient justice. Il a fait face à une grève des enseignants en les licenciant, tandis que l’opposition politique et les syndicats ont été tenus en échec par des arrestations.
Les relations du Burkina Faso avec les autres pays n’ont pas, non plus été, faciles.


Sankara a maintenu des liens étroits avec les dirigeants radicaux de la Libye et du Ghana, Mouammar Kadhafi et le lieutenant d’aviation Jerry Rawlings, ce qui a suscité une forte inimitié ailleurs, notamment en Côte d’Ivoire et au Togo.
Après que le président français de l’époque, le socialiste François Mitterrand, ait salué officiellement le rebelle antimarxiste angolais Jonas Savimbi et le leader sud-africain de l’apartheid P.W. Botha, Sankara a tenu à lui donner publiquement une leçon sur les droits de l’homme lors de sa visite à Ouagadougou.


Il a exhorté les nations africaines en difficulté à cesser de payer leur dette envers l’Occident :
« La dette ne peut pas être remboursée, car si nous ne payons pas, nos créanciers ne mourront pas. Mais si nous payons, c’est nous qui mourrons. Soyez-en sûrs. »
La tension monte de plus en plus entre Thomas Sankara et certains de ses ministres dont Blaise Compaoré.
Ce dernier était celui qui l’avait porté au pouvoir et il avait de nombreux et très puissants alliés. Craignant un nouveau coup d’état qui se serait dirigé contre lui, le président décida de créer une unité anti-putsch. Le lendemain de cette décision – le 15 Octobre 1987 – il fut exécuté avec 12 autres proches alors qu’il était à une réunion gouvernementale.
Comme s’il avait prédit sa destinée, il aurait déclaré quelques mois plus tôt :
La période sankariste au Burkina Faso n’aura duré que quatre ans.


Néanmoins, quand les gens revendiquent aujourd’hui l’héritage du révolutionnaire tué à 37 ans, ils se souviennent de ses idées et de son courage plus que de son bilan au pouvoir.
Certes, Thomas Sankara n’était pas un saint mais c’était un compatriote, un panafricain et surtout un homme intègre.